Accueil du Baron de Grimaud...Ou à la découverte de Prunille.

Mateù fronça légèrement les sourcils. Une sorte de méfiance l’envahit. Le ton de Gabcha semblait bien trop mielleux pour être honnête… ou au moins « normal ». Après tout, les courriers qui ont tant secoué Mateù n’adoptaient pas un autre ton. Il faut dire qu’il avait trouvé les mots pour attirer l’attention : « vierge », « chaste », « sentiment à votre égard »… Et vicié jusqu’à la moelle qu'il était, Mateù ne pouvait rester de marbre…

Un verre de Pessac, tiens tiens… Mateù se saisit du verre une fois le postérieure bien callé dans le fauteuil proposé. Un sourire gamin lui fit soudain rentrer le menton dans son col. Il répondit à l’enthousiasme de Gabcha d’un hochement de tête accompagnant un simple « santé ».

Lorsque ses lèvres filtrèrent le liquide rougeâtre, le Baron se sentit mieux. Il osa espérer que c’était la volupté du breuvage qui faisait effet, et non pas la simple dose d’alcool…

Visiblement, le vin déliait également les langues. Gabcha débita, subitement, une confession à caractère bien intime. Mateù n’en saisit pas toute la contenance et se contenta d’opiner du chef. Apparemment, le Cianfarano était soulagé de se confier ainsi. Il faut dire que la tchatche, ils l’ont dans le sang ces gens-là… D’ailleurs, si on avait annoncé au Baron, il y a peut encore, qu’il se retrouverait en face d’un Cianfarano, à deviser plus ou moins sereinement, il ne l’aurait pas cru. Après avoir tant craché sur ce nom suite aux nombreux accros entre l’Arlésien et Kalanquin…

Et tellement motivé à l’idée de voir un couple se former sous mes yeux. L’Amour…

Encore une fois, Mateù était plus spectateur qu’acteur dans la conversation. Cependant, cette petite phrase le fit se redresser sur son siège. Gabcha avait déjà bien réfléchi avant l’arrivée du Baron.

D’ailleurs, Mateù n’ajouta rien. Comme s’il se demandait s’il devait prendre la phrase pour lui. Les choses étaient présentées de manière si abrupte ! A nouveau, il se sentit moins à l’aise. Finalement, son arrivée à Apt n’était guidée que par des instincts primaires, et Gabcha évoquait les choses de manière si virevoltantes, si nobles...

Un temps d’arrêt figea la conversation. Alors, le soleil vint frapper les visages des deux hommes. Un signe selon le Cianfarano. Entre deux lampées, Mateù l’observa, comme pour évaluer son degré de sincérité. Après tout, que pouvait bien risquer le Baron dans pareille situation ? Quoiqu’il en soit, il décida de jouer le jeu…

Le soleil, oui… La grisaille m’a accompagné durant tout le trajet. A croire qu’il suffisait que je me rapproche de votre nièce pour qu’il nous réchauffe à nouveau enchaina-t-il, tout en jouant avec son verre désormais à moitié vide.

Les chaises supplémentaires « arrivèrent ». Mateù se pencha vers Gabcha. Sur le ton de la fausse-confidence, juste assez fort pour que Guihèn entende :

Pas commode votre laquais…

Mon Guigui, mais non, mais non, vous n'êtes pas un crétin. Ne vous dévalorisez pas... Vous avez un côté blond, et ce n'est point de votre faute. Vous êtes mal né, c'est tout.

Gabcha se tourna vers le Baron et lui chuchota...

Je vais demander à Richelieu de remplacer le lieutenant par un caniche. Même ondulations capillaires, même cerveau...La parole en moins...

Il allait encore lui parler de poésie, d'Art, de musique, d'Amour, d'Amitié, de Religion, de Courtoisie, de Mode, de parfums...De Moulins...A paroles Cianfaraniennes quand une chemise fit son apparition...

Le patriarche se leva , embrassa sa nièce. Il aurait pu la renvoyer dans sa chambre pour cause de manque d'élégance, mais il ne le fit pas. Un vent coquin s'était levé sur les terres d'Apt... Prunille n'avait sans doute pas mis de petite culotte... Mateù allait se fiancer très vite.

Pompeusement, il déclara donc...

Baroùn, je vous présente Prunille de Cianfarano. Damoiselle ma nièce, voici le Baron Mateù de Grimaud, l'oncle de Monseigneur Ludovi de Sabran.

L’embarras de Prunille était perceptible. A force, elle allait transmettre cette tension au Baron ! D’ailleurs, lui-même se sentit emporté bien des années en arrière. Un sentiment étrange s’empare de lui. Alors qu’il faisait face à la jeunesse dans ce qu’elle a de plus pur, une sensation de nostalgie vint le titiller. Il n’avait plus regarder quiconque avec tant d’intérêt depuis… depuis qu’il avait dit « au revoir » à Anderexia, sans imaginer qu’ « adieu » aurait été mieux adapté. Depuis qu’elle avait rejoint le Soleil, les choses étaient différentes. Pas de manque à combler, pas de partie de lui arrachée, pas d’étincelle éteinte, juste une différence.

Bien sûr, en grand habitué de lieux moyennement fréquentables, Mateù bavait toujours devant une cuisse charnue, des fesses rebondies ou un décollette vertigineux.
De plus, il s’était souvent laissé séduire par le regard perçant et le sourire gêné de l’une, ou les lèvres délicieuses et la silhouette d’ange d’une autre. Mais là… alors que tout ceci se retrouvait dans un même corps…

Baroùn, c’est un plaisir de vous croiser ici !
Quel bon vent vous amène ?

« Vous revoir en ayant l’esprit clair ». Voilà sans doute la réponse la plus évidente. La raison pour laquelle il avait répondu positivement au courrier de Gabcha. Mais Mateù s’abstint.

Quel bon vent vous amène ?

Un vent de fraicheur, sans aucun doute. Une brise pétillante et vivifiante, assurément.

Silencieux, Mateù s’avança vers la petite. Il fouilla une poche de son vêtement pour en extraire un petit carré de soie, soigneusement replié, qu’il conserva un instant caché dans son poing droit.

Le visage du Baron oscilla de haut en bas, suivant des yeux Prunille-debout, Prunille-assise et Prunille-debout. Face à elle, il tendit à moitié le bras gauche, ouvrit la main, paume vers le haut, et se décida enfin à répondre :

Je suis venu à Apt pour vous remettre ceci. Votre main je vous prie continua-t-il, d'un ton qu'il avait de plus en plus de mal à poser.

Nerveux… Il était nerveux ! Il bouillonnait intérieurement, comme un gamin ! Alors qu’il multipliait les cadeaux avec les conquêtes, alors qu’il se servait toujours de présents pour amadouer qui que ce soit… Aujourd’hui, il se surprenait à se poser mille questions. « Est-ce que ça lui plaira ? », « Ne sera-ce pas déplacé ? », « Aurais-je l’air prétentieux ? ». Pour une fois, il redoutait que les choses ne se passent pas au mieux. Finalement, sa cogitation-express l’amena à cette conclusion : il tenait à l'opinion que Prunille se faisait de lui.

Encore une fois, c'était une première depuis...

Elle adorait le bracelet ! Enfin, elle l’acceptait, c’était déjà ça.

Alors qu’il passait la chainette autour du poignet dénudé, elle lui demanda :

Mais... Pourquoi ?

Un haussement d’épaules accompagna la réponse du Baron :

Je… En fait... Laissez-moi vous compter l'acquisition de cette merveille. Je me la suis procurée lors de mon retour de Béarn, où j’ai combattu au sein des Saintes Armées. J'ai cru qu'elle ne finirait jamais, d'ailleurs, cette guerre.

Bref, sur le chemin du retour, j’ai frôlé la frontière nord d’Hispanie. A mi-chemin, plus ou moins, j’ai traversé un gros bourg. Il marque un arrêt, tâchant de se souvenir du nom du village. En vain. Là, j’ai rencontré l’orfèvre le plus réputé de la péninsule ! Du moins, c’est ce que le vendeur lui avait certifié…Lorsque j’ai vu ce bracelet, je lui ai demandé s’il avait une signification particulière. Donc son pays, les pierres de cette couleur sont toujours destinées à l’être chéri, et… Son débit, épique lorsqu’il raconte ses voyages, se calma soudain. Comment oublier que, à son retour, il avait tout perdu. Le Très-Haut avait rappelé Anderexia durant son voyage.

Triste ironie, tout de même, pour celui qui se prend à être Son bras armé sur Terre…

Mais nul ne part en guerre, pour revenir solitaire… Alors qui sait !

Enfin… Tout ça pour dire, qu’aujourd’hui, l’être que je tiens à chérir au-dessus de tout autre… Il s’interrompit encore. De toute façon, qu’il l’eut voulu ou non, ses yeux prolongèrent sa phrase.

Étrangement, son aveu prenait, finalement, une tournure corporelle autant qu'orale !

Car, il le sut à ce moment : l’être qu’il voulait affectionner plus que tout se trouvait face à lui.

Mateù n’était pas habitué à pareils instants. C’était tellement plus simple avec les femmes quand il n’était pas sincère !


Enfin il ferma -non sans mal !- la petite attache dorée. Le bracelet était scellé, lui. Qu’en était-il du reste ?